13 mai 2015

Prendre le temps de rendre ses enfants autonomes - interview de Guillemette Faure


On a déjà écrit ici tout le bien qu'on pensait du Meilleur pour mon enfant de Guillemette Faure. Si vous êtes jeunes parents (ou beaux-parents), ce livre plein de bon sens, intelligent, drôle et pratique, sans être moralisateur, se dévore comme un bon polar. La place des écrans, l'autonomie, mais aussi les poneys violets et les céréales du matin, vous ne serez plus perdus face aux décisions à prendre. Explications de l'auteure.

Que s'est-il passé pour que nous doutions autant ? Les parents semblent vivre dans la terreur du faux-pas…
Le fait d'avoir ses enfants plus tard et d'en avoir moins fait qu'on y réfléchit sans doute un peu plus. Mais surtout il y a une augmentation des enjeux. Pendant les trente glorieuses, c'était facile de dire « l'important c'est d'être heureux ».
Tout le monde trouvait du travail. Aujourd'hui, il y a un côté : « faut pas se rater ». Comme si les premiers bons embranchements devaient se prendre tout de suite. Ce qui me frappe – car un livre vient de sortir aux Etats-Unis sur le sujet – c'est tout ce qui a trait au leadership. Ce n'est pas d'éviter 20 ans de divan aux enfants qui nous préoccupe, c'est d'envisager leur emploi de demain. L'anxiété économique nourrit ça aussi. Par exemple, je suis frappée par l'augmentation du nombre de cours d'anglais pour tout-petits. Ce n'est pas juste pour qu'ils s'ouvrent à autre chose, il y a derrière l'idée que c'est une carte en plus pour plus tard. Dans les jouets Fisher Price comme chez Acadomia, toute la rhétorique est sur l'idée qu'il faut prendre un bon départ.

Vous citez plusieurs exemples d'enfants d'émigrés aux Etats-Unis dont l'enfance n'a pas été une période d'insouciance, mais presque un « placement » pour plus tard. Et finalement, ça a marché...
Quand on tient le discours : « l'important c'est qu'il soit heureux », c'est comme si on était assuré que quoiqu'il arrive demain, notre enfant aura au moins notre train de vie. A l'inverse les émigrants,  Indiens, Chinois, Nigérians, Cubains - des groupes qui ont énormément réussi aux Etats-Unis -, considèrent l'enfance comme une période d'investissement où l'on s'équipe pour le monde de demain. Ils assument le côté : « oui, on a besoin d'enfants qui paient pour demain », plutôt que de dire : « je veux un enfant qui soit heureux ».
S'imposer des enfants heureux plus tard, c'est se mettre beaucoup de pression ! Le bonheur est un objectif évasif et insaisissable, qui les met presque à coup sûr en situation d'échouer. La génération de parents qui disait : « je veux que tu aies une situation », même si c'est un défaut contre lequel on pouvait se rebeller, c'était plus précis et moins frustrant que l'injonction à la réalisation de soi. Tout le discours sur la passion est à la fois positif et pernicieux. Oui, c'est important d'être épanoui et heureux, mais en disant ça, on laisse entendre qu'on a tous en soi une vocation enfouie qu'il faut absolument trouver et qu'on n'a plus qu'à suivre. Il y a des dommages collatéraux, notamment à l'adolescence où l'on pense que son enfant a un problème s'il n'a pas trouvé sa vocation. Alors qu'on est entouré de trentenaires qui ne sont même pas sûrs d'exercer le boulot de leur vie !

Vous avez une fille de 5 ans. Entre le début de l'écriture du livre et aujourd'hui, qu'avez-vous changé ?
Les écrans ! Je partais de l'idée que c'est un plus d'être agile avec les appareils électroniques. Après ma visite de l'école Waldorf Peninsula*, j'ai compris que ce qui est important, c'est d'être agile tout court. Attention, ce discours, je le tiens pour les petits. Après, vers 9-10 ans, c'est autre chose.

Leurs parents n'ont visiblement pas lu le Le meilleur pour mon enfant.

Les responsabilités. Quand ma fille était à la crèche, j'aimais bien qu'elle soit bien habillée, que les chaussettes soient coordonnées à son pull. C'est un détail, mais je trouvais ça agréable... Aujourd'hui, je la laisse s'habiller seule, en vérifiant après, bien sûr.
On entend des discours sur « l'autonomie c'est important », mais on croise énormément d'enfants de 4 ans en poussette ! Malheureusement, les parents n'ont pas suffisamment de temps pour préparer leurs enfants à devenir autonomes. Quand l'enfant est dans une poussette en ville, on est sûr qu'il ne va pas traverser où il ne faut pas, on ne va pas être ralentis, il ne va pas chouiner en disant qu'il en a marre de marcher. On a de plus en plus de contrôle dans nos vies et c'est un peu frustrant de se dire que les enfants ne sont pas des drones et qu'on ne peut pas les télécommander ! Ils ne vont pas dans le sens qu'on a prévu, on appuie sur un bouton en espérant telle conséquence et finalement non, ils n'ont pas la réaction escomptée. « Je me suis aussi rendue compte que quand je m'énervais, très souvent, c'est parce que je m'étais fixée trop de choses à faire dans la journée. Je n'avais pas assez de temps pour pouvoir en perdre...
Aussi, quand on vit en appartement, on a ses enfants sous les yeux en permanence ou presque. Contrairement à des vies à la campagne où les enfants sont dehors. Dans l'autonomisation, il y a l'idée qu'on ne voit pas tout et qu'on ne soit pas là pour tout. Moins on a de temps avec nos enfants, plus on a tendance à définir la qualité du parent comme celui qui évite les chocs, les déceptions et rend ses enfants heureux. Pendant deux ans, le temps de l'écriture du livre, j'interrogeais des amis sur ce qui a été fondamental dans l'éducation reçue de leurs parents et personne, mais absolument personne ne m'a dit : « le jour où mes parents ont fait ça pour moi ». C'était à chaque fois : « quand ils m'ont laissé faire ça ». C'est cette liberté qui les a fait grandir.



Une autre chose que j'ai changée, c'est le rapport au travail. Au départ, je mettais un point d'honneur à ne pas allumer mon ordinateur entre le moment où je rentrais à la maison et celui où ma fille allait se coucher. C'était aussi une réflexion féministe. Je me disais je suis en train de lui mettre dans la tête que mon temps disponible, c'est un temps au service de son enfance. Finalement, lui montrer que je suis en train de travailler, c'est aussi pour lui expliquer qu'il y a des choses importantes pour moi et le travail en fait partie. Mon neveu, qui a grandi dans une ferme, m'a confié que voir ses parents travailler avait été précieux pour lui, pour comprendre comment les choses se fabriquent. Le truc, c'est que, pour un enfant, jouer à Candy Crush et travailler, ça ressemble à la même chose. Mais quand même, maintenant mon travail n'est plus un truc tabou. Il y a des moments où il passe avant et je l'explique. J'ai envie qu'elle sache que dans la vie d'une femme adulte, il y a autre chose que s'occuper de son enfant et de son foyer. Il faut aussi dire que le travail représenté dans les livres pour enfants n'a souvent rien à voir avec nos boulots. Il n'y a jamais de chargés de missions dans les bouquins pour enfants !

Que n'avez-vous pas réussi à changer ?
Tout ce qui est la discipline positive. Je suis super admirative des gens qui  ne disent pas : « fais pas ci » mais plutôt «tu devrais faire ça » et qui évitent le recours aux carottes. Il m'arrive encore de dire « on va se faire un petit resto pour fêter ça ». Les études montrent que c'est bien de vouloir marquer les choses positives. C'est un peu exagéré de dire aux enfants de 6 ans qu'ils travaillent pour eux : vouloir faire plaisir à ses parents, ce n'est pas si louche comme motivation. Mais c'est vrai que j'aimerais pratiquer la carotte moins souvent. Comme disent les gourous de la discipline positive, il faut se méfier de ce qui marche




Le meilleur pour mon enfant de Guillemette Faure (édition Les Arènes, 250 p., 19,90 €)

*article paru dans M Le Monde le 27 avril 2012

(Photos Patheos ; Mums in the know ; cartoon : Daniel Yowell) 

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